21 février 2006

Où il sera question de régularité

Il paraît que je n'ai pas posté de nouveau message depuis bientôt un mois.

Certes, il y a dans ce propos, qui se veut informatif dans la forme et menaçant sur le fond, une part de vérité, qu'il ne me viendrait même pas à l'esprit de mettre en doute.
Et j'aurais beau jeu de justifier cette absence par quelques simulacre d'explication foireuse, d'autant que Glou, lui, poste avec une régularité qui lui fait honneur.

Oui mais...

Oui, mais, disais-je donc avant d'être interrompu par moi-même et ce, pour ménager un suspense intolérable qui ne saurait durer trop longtemps, ma vie est-elle aussi palpitante pour qu'à l'instar de Glou, j'en tire des anecdotes suffisamment savoureuses que vous puissiez raconter le lendemain à Josie, la secrétaire du Bureau du DRH, qui vous fait de l'oeil depuis la fois où elle avait écouté, crédule, votre récit rocambolesque de la libération de Florence Aubenas, à laquelle vous participiez la nuit, alors que vous passiez vos journées à rédiger le rapport annuel de la vente de saucissons Bambino : "Si c'est Bambino, c'est jamais trop" ?

He bien non, je ne le crois pas.

Aucun canard, aussi malpoli soit il, ne vient se ramasser le bec contre l'asphalte à 2 mètres de moi, en compagnie d'un pachyderme hystérique.
J'ai toujours réussi à démarrer et à éteindre un ordinateur correctement sans pour cela avoir à faire appel à une hotline d'incompétents.
Enfin, je n'ai jamais eu le plaisir d'écraser une vieille, bien que l'envie me prenne aussitôt que, dans le bus, j'en vois une se ruer sur une place assise, généralement côté couloir, ne pas daigner se lever pour me laisser m'asseoir sur la place côté fenêtre, alors que cette même vieille descend généralement une quinzaine d'arrêts plus loin, et ne daignera pas non plus se lever pour me laisser sortir, m'obligeant à effectuer quelques contorsions plus ou moins prononcées, en fonction de la corpulence de la connasse.

Bref, si je ne poste pas, ce n'est pas par flemme, loin de là, mais bien parce que je n'ai rien à dire.

Le morceau du jour : Jackson and His Computer Band-Utopia


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Réflexions sur les canards sauvages


Puisque le ciel est obstinément gris et que, trop souvent hélas, diverses obligations m'obligent à sortir de chez moi, je me décidai ce matin à secouer ma torpeur ordinaire et me levai avant l'aube pour me préparer. Je n'ouvre jamais mes volets avant le lever du soleil, d'abord parce, vieux et grincheux, ceux-ci rechignent à grincer avant huit heures, ensuite parce que de rares passants trop curieux pourraient alors à loisir me contempler au lever, ce qui n'est un spectacle agréable ni pour eux ni pour moi.


C'est donc inconscient des dangers que je sortis de chez moi, à l'heure où blanchit la campagne. Comme souvent j'étais vêtu en dépit du temps, et cette considération me frappa tout à fait lorsque j'arrivai trempé à l'arrêt de bus post-apocalyptique où j'attends trop longtemps chaque matin l'hypothétique mastodonte à roues qui me conduit à la gare. J'en entends déjà, des irrévérencieux, me dire : "Tu n'avais qu'à prendre un parapluie", ce qui est une double aberration lorsqu'on sait que, d'une part, les parapluies ne sont utiles que par petite pluie fine valant mieux qu'un petit froid sec, et que d'autre part le nombre de morts par parapluie augmente chaque année.
Quoi qu'il en soit, j'en étais là de mes considérations philosophico-prête-à-porter lorsque j'avisai une comète jaillissant des cieux contrariés. La grosse femme en k-way orange qui prend régulièrement le bus en même temps que moi le vit aussi et poussa un brâme d'oie en désignant de son gros doigt l'objet qui filait dans les airs. Sans doute dut-elle faire un voeu, se conformant ainsi à l'absurde croyance populaire que le passage d'une comète est un signe de chance - les dinosaures me comprennent. Cependant, je n'eus pas le temps moi-même d'envisager le quart du début d'une prière au dieu inconnu, que déjà la comète fonçait vers nous et s'écrasait mollement sur la route, éclaboussant légèrement autour d'elle.
La nature est bien faite. Prévoyant qu'il nous arrivait là, à la grosse femme et à moi, un événement digne de figurer au panthéon de nos aventures extraordinaires personnelles, le temps sembla s'arrêter. Je vis alors entre les gouttes que notre comète était un canard sauvage, une de ces charmantes bestioles emplumées qui sont très célèbres ces derniers temps, pour d'obscures raisons journalistiques qu'il serait trop long d'expliquer.
J'étais stupéfait, bien sûr. Ce n'est pas tous les jours que l'on assiste à un atterrissage forcé. Je ne dis pas qu'il ne m'est jamais arrivé de voir un oiseau me jouer le remake du 11 septembre en venant s'écraser sur mes fenêtres, mais c'était tout à fait différent. Un oiseau, même très intelligent, a le droit de confondre une vitre transparente avec une vitre ouverte, c'est son droit le plus strict. Mais de là à confondre une route goudronnée avec une vitre ouverte, je trouve ça un peu gonflé.
La grosse femme m'arrêta net dans mes réflexions en s'évanouissant à moitié, hurlant à la mort oh mon dieu mais c'est terrible. Je tachai de deviner en quoi ce narcisse emplumé, amoureux sans doute de son reflet dans une flaque, pouvait déclencher chez ma co-voyageuse un tel débordement. Je n'eus pas le temps de le lui demander car elle s'enfuit en courant, agitant sous la pluie ses petits bras boudinés et oranges, en braillant des mots que je ne compris pas.

Le bus en arrivant à l'arrêt avec ses dix minutes de retard réglementaire roula sur le canard sauvage au grand plaisir des deux enfants qui l'observaient depuis l'autre côté de la route. Je suppose qu'ils furent enthousiastes, après que le bus ait redémarré, en lisant la marque des pneus sur le corps de l'animal.
Pour ma part, je pris le bus seul ce matin et arrangeai le retard du bus avec le retard du train. La nature, y a pas à dire, est bien faite.

Le morceau du jour : Waltz for RuthCharlie Haden-Beyond The Missouri Sky


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03 février 2006

Le vertige de l'ordinateur

Plus encore que le pâté de foie pas frais, je hais les ordinateurs.

Comme le cintre de Desproges, l'ordinateur agresse l'homme par pure cruauté. L'ordinateur est du genre à mettre une photo d'Haïti sur son bureau ; et puis il est moche, il a la gueule pleine de boutons, ses souris sans fil, un humour à la clavier ; l'ordinateur n'hésite pas à mettre les hauts parleurs enceintes, au mépris de la convention de Genève.
L'ordinateur est un con qui tous les jours fait le tour des périphériques intérieur et extérieur.

Et pourtant, malgré cette répulsion toute physique, je l'ai aimé, autrefois, au temps béni où nous marchions de concert. Je l'ai aimé et puis les choses se sont envenimées, comme s'il me reprochait d'avoir lorgné sur un portable.
Vint ce jour terrible de décembre où l'ordinateur m'a jeté au visage des insultes terribles. Je lui ai dit qu'il commettait une erreur fatale, qu'il avait un devoir de mémoire envers moi... Rien n'y fit. "System root/system 32/hal.dll manquante ou introuvable ...". Me dire ça à moi, moi qui est toujours pris soin de lui laisser des petits mots sur son poste de travail pour qu'il retrouve son chemin, nous les appelions raccourcis... Hélas, il avait raison celui-là qui a dit que lorsque l'ordinateur se met à vous parler en anglais, c'est mauvais signe.
J'ai tout fait pour recoller les pots cassés, je lui ai présenté de nouveaux pilotes, je l'ai laissé surfer dans des endroits pas nets, je l'ai emmené en week-end chez le revendeur Fnac, pour qu'il retrouve ses amis, les gens de sa famille, je suis même passé sous la nappe (conseil de Bubu) pour lui ... Mais l'ordinateur, inflexible dans sa rebellion, refusa de négocier. A Disk read error occured. Press Ctrl Alt Del to restart.
Comment peut-on être aussi méchant ?
Je suis allé consulter un de ces proches, psychiatre par téléphone, qui diagnostiqua une schizophrénie du disque dur ; "Il faut l'envoyer en clinique", me dit-il en brisant le doux espoir que ce n'était qu'un petit passage à vide.

Alors, ce matin, dés l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, je l'ai pris par la main, cet ancien ami devenu insupportable à ma vue. Je l'ai conduit dans cette clinique spécialisée, la mort dans l'âme, l'unité centrale dans le coffre.

En rentrant chez moi, l'âme allégée de ce poids, je me suis rendu compte de cette haine qui m'agite désormais. Je n'en suis pas fier. Mais l'ordinateur est un parasite de l'informaticien, une erreur de la nature au même titre que l'ornithorynque, le C++ ou les hémorroïdes.
Le genre de désagréments qui vous font chier.
Plus que tout, je hais les ordinateurs.

Le morceau du jour : Desolation Row
Bob Dylan - Highway 61 Revisited


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02 février 2006

Où il est question de cagnotte

Il faut dire ce qui est : les vieux ont un courage rarement égalé.


En certaines circonstances, il peut arriver que le citadin de plus de dix-huit ans ait besoin d'enfiler sa voiture, par exemple pour aller remplir une grille d'euromillions au bar-pmu du coin. Le trajet, qui ne dure pas plus de cinq à six minutes, rencontre souvent un de ces drôles de machin tout droit et fichtrement bigarré qu'on appelle feu tricolore. Une coutume française veut que lorsque la couleur allumée est le rouge l'automobiliste doive s'arrêter et attendre en tapotant nerveusement sur le guidon.

A trois de front à ce carrefour, coincé entre une camionette à peine plus blanchâtre qu'un blanc d'oeuf monté en neige et une boîte à savons scandinave, le citadin peut avoir l'impression qu'on cherche à le prendre de vitesse au démarrage. Or le citadin est fier et belliqueux ; c'est un trait de caractères qu'il tient de ses ancêtres les gaulois, tête de noeud et bite en bois.
Le rouge est bref et doit nécessairement passer au vert. A cet instant où la pupille du citadin enregistre l'infime clignotement du feu, il est naturellement tenté d'écraser l'accélérateur pour griller au poteau l'infâme camionette Darty et l'horrible petite voiture cubique. Mais c'est sans compter le courage inouï des personnes âgées ...

Reconstitution, et pas seulement européenne :
Georgette Duglandménil était décidée ce matin-là à remplir sa deux-cent-cinquante-quatrième grilles d'euromillions de l'année. Elle avait donc enfilée ses vêtements défraichis, mis ses bas de contention, mis en place sa jambe de bois et attrapé sa canne ; n'écoutant que son mari, elle était ensuite allée remplir sa grille avec les dates de naissance de ses enfants, petits-enfants et autres rejetons plus ou moins naturels. Bien sûr, il arrive un moment où il faut bien rentrer chez soi pour préparer le déjeuner, et Georgette, qui a froid dans son ensemble Emaüs, s'avance sur le trottoir. Du coin de l'oeil elle voit bien le petit bonhomme tout rouge qui lui fait signe de patienter avec lui pendant que le bonhomme tout vert est en pause-pipi. Mais Georgette elle se laisse pas dicter sa conduite par ces connards de mégalos-trotskistes ; n'écoutant que son courage, elle le prend à deux mains et s'engage en boitillant sur le passage-piéton.

Les obsèques auront lieu lundi matin au cimetière Mahomet.


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Concerts / Sorties