02 février 2006

Où il est question de cagnotte

Il faut dire ce qui est : les vieux ont un courage rarement égalé.


En certaines circonstances, il peut arriver que le citadin de plus de dix-huit ans ait besoin d'enfiler sa voiture, par exemple pour aller remplir une grille d'euromillions au bar-pmu du coin. Le trajet, qui ne dure pas plus de cinq à six minutes, rencontre souvent un de ces drôles de machin tout droit et fichtrement bigarré qu'on appelle feu tricolore. Une coutume française veut que lorsque la couleur allumée est le rouge l'automobiliste doive s'arrêter et attendre en tapotant nerveusement sur le guidon.

A trois de front à ce carrefour, coincé entre une camionette à peine plus blanchâtre qu'un blanc d'oeuf monté en neige et une boîte à savons scandinave, le citadin peut avoir l'impression qu'on cherche à le prendre de vitesse au démarrage. Or le citadin est fier et belliqueux ; c'est un trait de caractères qu'il tient de ses ancêtres les gaulois, tête de noeud et bite en bois.
Le rouge est bref et doit nécessairement passer au vert. A cet instant où la pupille du citadin enregistre l'infime clignotement du feu, il est naturellement tenté d'écraser l'accélérateur pour griller au poteau l'infâme camionette Darty et l'horrible petite voiture cubique. Mais c'est sans compter le courage inouï des personnes âgées ...

Reconstitution, et pas seulement européenne :
Georgette Duglandménil était décidée ce matin-là à remplir sa deux-cent-cinquante-quatrième grilles d'euromillions de l'année. Elle avait donc enfilée ses vêtements défraichis, mis ses bas de contention, mis en place sa jambe de bois et attrapé sa canne ; n'écoutant que son mari, elle était ensuite allée remplir sa grille avec les dates de naissance de ses enfants, petits-enfants et autres rejetons plus ou moins naturels. Bien sûr, il arrive un moment où il faut bien rentrer chez soi pour préparer le déjeuner, et Georgette, qui a froid dans son ensemble Emaüs, s'avance sur le trottoir. Du coin de l'oeil elle voit bien le petit bonhomme tout rouge qui lui fait signe de patienter avec lui pendant que le bonhomme tout vert est en pause-pipi. Mais Georgette elle se laisse pas dicter sa conduite par ces connards de mégalos-trotskistes ; n'écoutant que son courage, elle le prend à deux mains et s'engage en boitillant sur le passage-piéton.

Les obsèques auront lieu lundi matin au cimetière Mahomet.

1 commentaire:

Bubu a dit…

L'important lectorat de ce blog (ils étaient aux dernières nouvelles au nombre de trois, si l'on rajoute la présence très éphémère de raoul Dudandoul- 43 secondes) aura deviné que ce post est rédigé par un nouvel arrivant, j'ai nommé le professeur Glou, dont la rigueur d'entomologiste et la pédagogie poivre d'arvorienne en font le meilleur chroniqueur hippique du moment. Hourra !

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